Историки Французской революции - Варужан Арамаздович Погосян
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Quant au profond respect de Mathiez envers Kareiev, qu’il caractérisait d’un «doyen des historiens russes […] qui a consacré sa longue et belle vie à l’étude de notre XVIIIe siècle et notre Révolution»[393], on peut en juger d’après la lettre de Gustave Laurent, directeur des Annales historiques de la Révolution française, adressée à l’historien russe le 14 septembre 1926: «Mon co-directeur et ami M[onsieur] Albert Mathiez, me demande de bien vouloir insister auprès de vous qui appartenez, d’ailleurs, au Comité directeur de notre revue, pour vous prier de bien vouloir renouveler vos abonnements de 1925 et 1926 que nous n’avons pas reçus et dont vous trouverez, sous ce pli, la facture […] Aussitôt votre réponse et dns que nous serons certain que l’envoi de nos fascicules vous arrive régulièrement, nous vous expédierons tous ceux qui vous manquent, avec le volume de la Correspondance de Robespierre que vient de para’tre et que nous offrons cette année, à nos fidèles abonnés»[394].
Aprns la révolution de 1917 Mathiez a été l’initiateur d’une très fructueuse coopération avec les historiens marxistes soviétiques, comme Nikola «Loukine, Grigori Friedland et d’autres, dont il avait fat h connaissance personnelle dans les années vingt lors des missions scientifiques de ces derniers en France. Certes, il avait le grand mérite de continuer les bonnes traditions des acquis de la science historique en Russie dans le domaine des études révolutionnaires. Mais, dans ce cas, il s’agissait principalement de la science historique marxiste, et il a atteint des résultats évidents et indéniables en invitant Kareiev, Loukine et d’autres à collaborer aux Annales historiques de la Révolution française, en dépit de leurs différentes orientations scientifiques[395]. Il ne ménaga pas non plus ses efforts personnels, malgré des possibilités plus que limitées (il ne savait pas le russe), en tâchant de présenter lui-même dans sa revue les études de ses collègues marxistes[396].
Les historiens soviétiques, à leur tour, ont été intéressés à améliorer leurs relations avec leurs collègues français, surtout avec ceux de gauche, dont Mathiez était le représentant le plus éminent. Du côté soviétique, les mérites de Tarlé sont évidents dans l’approfondissement des relations amicales entre les historiens des deux pays. Sa correspondance de cette époque prouve l’attitude aimable des historiens français à son égard et celui des autres historiens soviétiques. Dans son compte rendu sur l’une de ses missions scientifiques en France, il écrivait le 4 décembre 1924:
«L’attitude générale du monde scientifique envers les savants qui arrivent de la Russie Soviétique est au plus haut point prévenante et bienveillante. Cette attitude est surtout évidente de la part des représentants du côté gauche de l’historiographie française: il me faut mentionner les noms d’Aulard, de Mathiez et, enfin, celui de l’éminent Georges Renard, qui occupe maintenant la chaire d’histoire du travail au Collè ge de France, ancien communard de l’époque de la Commune de Paris de 1871 (il a maintenant 76 ans)»[397].
Il avait souligné ce шкше fait dans sa lettre datée du 31 août 1924 à Olga Tarlé, sa femme: «En somme, les savants franç ais m’accueillent ici parfaitement»[398].
Tarlé se trouvait en trns bons termes avec les historiens français. En tant que l’un des co-rédacteurs, avec Fédor Ouspenski, des Annales, revue sur l’histoire universelle, il y organisa la publication des articles sur les éminents historiens français et l’historiographie française [399], ainsi que des comptes rendus sur leurs livres[400]. Aulard, son ami, le qualifia en novembre 1924 de «notre brillant collègue», d’un chercheur qui se trouvait parmi les «historiens vraiment remarquables»[401]. Il l’invitait assidûment à Paris pour faire des cours au Collège Libre des Sciences Sociales, dont il était le vice-président. Le 10 octobre 1924, Aulard écrivit à Tarlé, qui se trouvait à Paris:
«Nous nous occupons, en ce moment, d’organiser le tableau des cours de notre année scolaire. Et conformément à la tradition de notre Collège, qui a toujours consisté à faire appel à des collaborations étrangères, nous vous serions très reconnaissants, de nous accorder votre précieuse collaboration. Puis-je vous prier de nous faire conna’ tre si nous pourrions y compter? [402]
Deux jours après, il poursuivait: «Je suis bien content d’apprendre que vous allez donner un enseignement au Collège Libre des Sciences Sociales, dont je suis vice-président. Ce sera pour nos étudiants et pour notre public un régal et un profit. Votre séjour à Paris me sera personnellement bien précieux et agréable»[403].
En шкше temps, Tarlé avait noué des relations trns amicales avec Mathiez. Dans ses lettres adressées à sa femme, il parlait constamment de ses rencontres avec lui lors de ses différentes missions scientifiques à Paris, et il qualifiait les Annales révolutionnaires de «revue hist[orique] intéressante sur l’histoire de la Grande révolution française]»[404]. D’ailleurs, les lettres de Nadejda Stchoupak, son amie sanscritiste, émigrante russe habitant à Paris, adressées à lui immédiatement aprns la mort de Mathiez, prouvent sa profonde estime à son égard. Le 26 février 1932, elle écrivait: «J’en suis toute bouleversée – quelle perte irréparable pour la science, pour ses élnves, pour ceux qui l’ont connu et apprécié. Et j’ai doublement de la peine en pensant à celle que vous aurez» [405]. Aprns trois jours, Stchoupak a écrit qu’elle avait mis une gerbe d’nillets rouges sur le cercueil de Mathiez, en soulignant: «Mentalement aussi de votre part»[406].
Comme Tarlé estimait beaucoup non seulement Mathiez, mais aussi Aulard[407], «figure centrale de toute l’historiographie de la Grande révolution»[408], il avait entrepris