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С.Д.П. Из истории литературного быта пушкинской поры - Вадим Вацуро

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La premi ère fois que j’ai été chez elle, j’étais enchanté; elle a été d’une gaieté charmante: beaucoup d’esprit, une saillie naturelle, quelquefois du sentiment. Je ne l’ai jamais vu depuis de cette humeur-ci. Je peux me vanter d’avoir été d’abord traité avec plus d’égard que Panaïeff et quelques autres de mes connaissances: avec eux elle ne s’y prenait que par des enfantillages; la comparaison que j’ai fait depuis a dû flatter ma petite gloriole. Cependant j’ai toujours tenu ferme; j’ai été d’une politesse et d’une réserve désespérante; et même par la suite faisant pour elle des poésies bien tendres, j’ai toujours été circonspect et même froid dans ma conduite personnelle; de sorte qu’ayant une fois pris congé d’elle lorsqu’elle me demandait quand je reviendrais et que je lui ai repondu que mon unique bonheur est de la voir aussi souvent que possible, elle m’a dit qu’on ne me prendrait jamais, et que je suis ardent dans les paroles et froid dans le cœur. C’était déjà un avis au lecteur: quelqu’un plus prudent et plus défiant que moi aurait compris qu’on ne tarderait pas à se ven-ger de cette prétendue froideur; moi je n’ai pas voulu être sur mes gardes et j’ai donné dans le panneau.

C ’est pour se venger sans doute de mon indifférence qu’elle m’ a retenu au chevet de son lit le 24 avril. Elle a su renvoyer tout le monde, mais elle a pris la pr écaution de laisser la porte de sa chambre à coucher ouverte. Elle me parlait de la confiance qu’elle avait en moi, de la préférence qu’elle me faisait à tous les autres: le tout était accompagné d’un regard si tendre, d’un air si ca-ressant, que J’a oublié mes belles résolutions d’être impassible. Son épaule se découvre, puis son sein se dévoile devant mes yeux. Je n’y tiens plus: je le couvre, je le mange de mes baisers, ce beau sein qui semble ne se soulever que pour l’amour et le plaisir, ma main indiscrète s’égare en caressant cette gorge d’albâtre: je tremblais, j’étais au supplice d’un homme torturé: dès ce moment-ci je me suis voué à elle, et, sot! je lui en ai fait le serment. Elle me disait que je voulais la perdre, et dieu sait où j’en serais, si Jakowleff n’était survenu sous le prétexte de lui porter des excuses. Dans ce moment même ma bouche était collée sur la sienne, elle même me donnait des baisers qui embrasaient tout mon être, ses yeux étaient presque éteints; encore une minute… et je m’abreuvais peut-être dans la coupe de félicités… Mais non! ce n’étaient que des grimaces: elle a vu qu’il n’y a que ce seul moyen de m’attacher à son char de triomphe et elle a voulu sauter par-dessus quelques considéra-tions pour atteinde son but… L’impitoyable Jakowleff m’entraine de sa chambre; confus et hors de moi, je le laisse faire, j’entre dans le cabinet de Mr. P… reff, et j’ai été bien longtemps avant de me remettre: je tremblais de tous mes membres, je tréssaillais du plaisir en me souvenant de cette scène qui me fait encore la plus douce souvenance et un trésaillement universel, comme si une étincelle d’électricité eut passé par tout mo n individu.

Ce 2 Juin 1821, à 11 du matin.

On enterre le pauvre Archippe dans ce moment-ci; je l ’ai vu en passant; ce visage pâle, défiguré, et le repos de la mort qui veille au chevet de son cer-cueil. Вечная память, добрый, любезный Архип!

Mr. A. Toumansky m ’envoie dire que mon cher Basile va bientôt revenir de son voyage, qu’il est déjà en route, quelles nouvelles m’apportera-t-il de Paris?

Fleury m ’a dit dernièrement qu’il a aussi reçu une lettre de Mr. Rousseau. Comme j’en ai reçu une de Madame par le jeune Bourgeois, et que ces lettres ne contiennent rien d’intéressant, si ce n’est des nouvelles de famille, je n’ai pas voulu demander à Mr. Fleury la lecture de celle qu’il vient de rece-voir. NB[335].

Il faut aussi passer à la maison de la Princesse Golitzin pour m’informer si l’on a reçu des nouvelles du Prince Alexis, et s’il n’y a point un petit bout de billet pour moi. Je crains beaucoup des suites du duel qu’il projettait avec le comte Meller. Voilà mes connaissances chez la Princesse Pauline dispercés sur la surface du globe! Mar<ieu> est à Langbach, celui-là va se battre, les autres sont allés faire la campagne contre Dieu sait qui!

Ce 1 heure et demi.

J’ai lu ce matin La Gerusalemme di Tasso. Je ne sais trop pourquoi, lorsque je trouve quelque chose d e beau, d’agréable, d’enchanteur, je cherche toujours une comparaison ou une allusion à faire à elle. Toujours elle! Elle ab-sorbe toutes mes idées et cependant je suis résolu de l’oublier ou du moins de ne penser plus à elle. Le portrait d’Armide arrivée au camps de Godefroi, me parut être le sien: j’y cherchai le sourire, le regard de mon enchanteresse; mais voilà surtout un passage qui m’arrêta:

E in tal modo comparte i detti suoi,E il guardo lusinghiero e in dolce riso,Ch ’alcun non è che non invidii altrui,Nè il timor dalla speme è in lor diviso.La folle turba degli amanti, a cuiStimolo è l’arte d’un fallace viso,Senza fren corre, e non li tien vergogna, —etc.

Hier, en revenant de chez Mr. Ostolopoff, j ’ai passé exprès dans la rue de Sellerie pour me donner le plaisir de battre encore de mes pieds le même pavé par lequel j’allais et revenais chez elle. Il me semblait que je venais de sa maison au beau milieu du mois d’avril, lorsque j’ai eu encore la tête remplie des rêves d’un bonheur imaginaire, je ne sais quel contentement se répandit subitement dans mon âme à cette seule idée; mais bientôt je suis descendu des nues et j’ai soupiré en pensant à la triste réalité qui m’est restée en partage.

Ce 3 Juin 1821 à 7 heures du matin.

Hier à 7 heures je suis allé à la séance de la société au Château S. Michel. J’y ai trouvé Gretsch. Nous avons parlé (lui et moi, s’entend) des affaires ac-tuelles de la France et de notre patrie. Il m’a raconté plusieurs faits qui se trouvaient dans les journaux libéraux. Entr’autres le vote d’un ultra pour éle-ver les enfants des Protestants dans la religion Romaine. Ont-ils le sens com-mun, ces gens-là? prennent-ils les français pour des votéistes?

Dans la s éance on a élu Bulgarine que j’ai proposé, à l’unanimité; cela a fourni à Gretsch une observation sur les effets de la civilisation et des lumières du siècle; vu qu’un ennemi littéraire propose son ennemi; que ces mêmes en-nemis se chérissent comme des amis véritables, etc.

Izmailoff m ’a demandé des nouvelles de Mme. Je n’ai pas pu lui répondre ne l’ayant pas vue depuis six jours. Gretsch m’a autorisé d’écrire à Mr. Katschénowsky pour lui annoncer l’article méchant et d’une bassesse extrême que Woïeikoff va lancer contre lui dans le Fils de la Patrie. Gretsch m’a prié même de le lui écrire; il a beaucoup bataillé avec Woïeikoff au sujet de cet article, mais comme il n ’a pas le droit de s’opposer à l’insertion de cet article, il laisse faire son cher camerade jusqu’au 1 Janvier 1822, où ils doivent se dé sunir.

Bulgarine va bient ôt lire une diatribe sanglante contre Woïeikoff sous le titre «Le Cachet de l’abjection» (Печать отвержения).

Nous sommes partis avec Gretsch vers 9 heures pour aller chez Bulgari-ne. Chemin faisant nous avons parl é de Madame. J’ai parlé avec beaucoup de feu de ses grâces, de son esprit et de ses talents. Gretsch m’a dit que c’est bien dommage qu’elle ne l’entende pas.

Nous n ’avons pas trouvé Bulgarine chez lui; j’ai passé ensuite chez Ja-kowleff et chez Baktine, également sans les avoir trouvé l’un et l’autre.

A dix heures et demi je suis rentr é. J’ai voulu me mettre à écrire et voilà qu’on frappe à ma porte. J’ouvre et je vois entrer Yakowleff; je lui demande des nouvelles de Madame, mais il ne l’a pas vue non plus depuis mardi. Nous nous sommes convenus d’y aller demain (c’est à dire aujourd’hui). Voyons ce qu’elle me dira. Je ne sais pas, mais depuis mardi ce n’est plus pour moi un plaisir d’y aller, c’est une peine. Il me semble que j’y porterai une bien triste mine, mais je tâcherai de me contraindre et de paraître gai, indifférent, autant qu’il me sera possible.

On vient me dire que le Prince m ’invite à venir prendre le thé chez lui. Puis cessons notre journal pour le reprendre demain ou ce soir.

Ce 4 Juin 1821 à 7 heures du mat in.

J ’ai été chez elle. J’y ai passé toute la journée d’hier. Yakowleff n’étant point venu, je n’y ai trouvé que Panaïeff et cet éternel Lopês qui est pourtant un très brave garçon: mainte et mainte fois il m’a invité chez lui et comme je veux à présent changer de conduite à l’égard d’elle, je veux bien aller chez lui un dimanche.

Quel salut froid de sa part! Elle avait un peu l ’air fâché en me demandant l’état de ma santé: je lui ai répondu que je me portais parfaitement. Un moment après Lopês prenait congé d’elle, prétextant d’aller à la chasse ou quelque chose de semblable. Elle a couru après lui, comme pour arrêter son chien qui voulait le suivre. J’ai vu ce manège, et je suis resté dans les apparte-ments. Après un quart d’heure je suis sorti pour prendre un peu d’air et je l’ai aperçue au bout de la fabrique à cordages. Comme il était impossible qu’elle ou Lopês ne m’eurent remarqué, je pris le parti de les aller joindre. Il s’est en allé et j’ai reconduit Mme dans les appartements. Voilà un court entretien qui s’engage entre nous deux où elle me fait des reproches de ne l’avoir pas atten-due mardi et d’être parti sans la voir: elle a répété, comme de raison, sa que-relle accoutumée sur les prétentions que j’ai etc. etc. Son époux et Panaïeff vinrent nous joindre et les pourparlers ont cessé. J’ai voulu partir tout de suite niais elle me forçait à rester. La curiosité m’a piqué et j’ai renvoyé mon cocher. Après le déjeuner elle s’est mise à piano, j’ai la priée de chanter Ragazze <нрзб.>, ce qu’elle fait d ’assez bonne grâce. Panaïeff lui a rappelé ma romance «Ты мне пылать» etc: elle l’a chanté de même. Cela m’a déplu et je voud-rais ne l’avoir jamais faite cette maudite romance, car c’est une pierre de touc-he de mes sentiments. Aussi je suis allé vite chercher ma canne et mon cha-peau et je sortis pour aller faire un tour de promenade jusqu’à la campagne de comtesse Besborodko.

En revenant je rencontre M-me avec Pana ïef qui sont aussi sorti pour la promenade. La politesse exigeait que je les suivisse, ce que je n’ai pas manqué de faire. La promenade s’est passé assez gaiement, dans la conversation on en est venu à Mr. Yakowleff: je lui dit qu’elle le maltraitait et c’était lui donner un champs libre pour faire une sortie contre les prétentions etc. etc. Il veut, dit-elle, qu’on s’occupe de lui exclusivement, il croit qu’on le méprise… (NB. Ce n’est pas lui, c’est moi qui l’ai dit dans mes lettres, aussi que j’ai très bien compris à qui cela s’adressait indirectement). En rentrant je l’ai fait beaucoup rire au dîner, de sorte qu’elle a eu une attaque des nerfs par la suite. Qu’il est dommage, qu’un si beau corps soit sujet aux affections vaporeuses! Elle, qui devrait être la santé même, elle qui devrait compter tous les instants de sa vie par autant de jouissances, a les nerfs trops faibles: tous les plaisirs un peu ex-cessifs, toutes les peines un peu sensibles la dérangent et lui coûtent plusieu-res heures de souffrances.

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