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Monsieur Gallet, décédé - Simenon

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— Vous permettez que j’emporte le dossier ?

Elle se tourna vers la porte, comme pour consulter son fils, mais Henry ne les avait pas suivis.

— Que pouvez-vous en tirer ? C’est une sorte de relique… Si vous croyez… Mais dites, commissaire, il est impossible, n’est-ce pas, que M. Niel ait affirmé… C’est comme ces cartes ! Il m’en est arrivé une hier encore !… Et c’est son écriture, j’en suis certaine !… Elle est datée de Rouen, comme l’autre… Lisez !… « Tout va bien. Rentrerai jeudi… »

Une fois de plus l’émotion perçait, mais avec peine.

— J’en arrive presque à l’attendre !… Jeudi, c’est demain…

Brusquement, elle fondit en larmes, mais ce fut d’une brièveté incroyable. Deux ou trois hoquets. Elle porta le mouchoir bordé de noir à sa bouche, dit d’une voix sourde :

— Ne restons pas ici…

Il fallut traverser à nouveau la chambre à coucher banale, mais de bonne qualité, avec son armoire à glace, ses deux tables de nuit, sa carpette en faux perse.

Dans le corridor du rez-de-chaussée, Henry regardait sans les voir les tapissiers qui chargeaient les tentures sur une camionnette. Il ne tourna même pas la tête vers Maigret et sa mère qui descendaient l’escalier ciré dont les marches craquaient.

Il régnait dans la maison une atmosphère de désordre. La bonne, un litre de vin rouge et des verres à la main, pénétra dans le salon, où deux hommes en blouse traînaient le piano.

— Ça ne fera pas de mal ! entendit-on prononcer par une voix indifférente.

Et Maigret avait une impression qu’il n’avait encore jamais eue et qui le déroutait. Il lui semblait que toute la vérité était là, éparse autour de lui. Rien de ce qu’il voyait n’était indifférent.

Mais il eût fallu voir autrement qu’à travers une sorte de brouillard déformant. Et ce brouillard s’obstinait, créé à la fois par cette femme qui se raidissait contre son émotion, par Henry, dont la longue figure était mieux close qu’un coffre-fort, par ces tentures qui partaient, par tout enfin et surtout par la gêne de Maigret lui-même, qui sentait sa présence déplacée.

Il avait honte de ce dossier rose qu’il emportait comme un voleur et dont il eût été en peine d’expliquer l’utilité. Il eût voulu rester longtemps là-haut, tout seul, dans le cabinet de travail du mort, errer dans le hangar où Emile Gallet travaillait à ses engins de pêche perfectionnés.

Il y eut un moment de flottement. Tout le monde était à la fois dans le corridor. C’était l’heure du déjeuner et il était clair que les Gallet attendaient le départ du policier.

Une odeur d’oignons rissolés s’échappait de la cuisine. La servante n’était pas la moins désemparée.

La seule ressource de chacun était de regarder les tapissiers qui remettaient le salon en état. L’un d’eux trouva le portrait de Gallet sous un plateau à liqueurs.

— Vous permettez que je l’emporte ? intervint Maigret en se tournant vers la veuve, je puis en avoir besoin…

Il sentit que Henry le suivait des yeux avec un mépris accentué.

— S’il le faut… J’ai très peu de photographies de lui…

— Je vous promets de vous la rendre…

Il ne se décidait pas à partir. Au moment où les ouvriers transportaient sans ménagement un vase énorme, en faux sèvres, Mme Gallet se précipita :

— Attention !… Vous allez heurter le chambranle…

Et c’était toujours le même mélange de douleur et de grotesque, de drame et de petitesse qui pesait aux épaules de Maigret, dans cette maison désolée où il croyait voir errer, silencieux, les yeux plombés par la maladie de foie, la poitrine creuse, la jaquette mal coupée, Emile Gallet qu’il n’avait pas connu vivant.

Il avait glissé le portrait dans le dossier rose. Il hésita.

— Veuillez encore m’excuser, madame… Je m’en vais… Je serais heureux que votre fils m’accompagne un bout de chemin…

Mme Gallet regarda Henry avec une angoisse mal réprimée. Elle devait sentir aussi, elle, malgré ses allures dignes, ses gestes mesurés, son triple rang de pierres noires au cou, qu’il y avait quelque chose

Mais le jeune homme, indifférent, alla décrocher son chapeau à ruban de crêpe d’une patère.

Ce départ ressemblait à une fuite. Le dossier était lourd. Ce n’était qu’une chemise de carton d’où les papiers menaçaient de s’échapper.

— Vous ne voulez pas un journal pour l’envelopper ? questionna Mme Gallet.

Maigret était déjà dehors. La servante se dirigeait vers la salle à manger avec une nappe et des couteaux. Henry marchait vers la gare, long, silencieux, le regard insaisissable.

Quand les deux hommes furent à trois cents mètres de la maison et alors que les tapissiers mettaient le moteur de la camionnette en marche, le commissaire prononça :

— Je n’ai que deux renseignements à vous demander : l’adresse d’Eléonore Boursang à Paris… La vôtre et celle de la maison où vous travaillez.

Il prit un crayon dans sa poche et écrivit sur la couverture rose qu’il avait à la main :

Eléonore Boursang : 27, rue de Turenne. Banque Sovrinos : 117, boulevard Beaumarchais… Henry Gallet : Hôtel Bellevue, 19, rue de la Roquette…

— C’est tout ? questionna le jeune homme.

— Je vous remercie ! Oui…

— Dans ce cas, j’espère que, maintenant, vous allez vous occuper de l’assassin…

Il n’essaya pas de juger de l’effet produit. Il toucha le bord de son chapeau et se mit à remonter l’avenue centrale du lotissement.

La camionnette dépassa Maigret un peu avant son arrivée à la gare.

Le dernier élément recueilli ce jour-là le fut par l’effet du hasard. Maigret arriva à la gare une heure avant le passage du train. Il se trouva seul dans la salle d’attente déserte, au milieu d’un nuage de mouches.

Il vit arriver en vélo un facteur, au cou violet d’apoplectique, qui rangea ses sacs sur une table servant aux bagages.

— C’est vous qui desservez les Marguerites ? questionna le commissaire, que le facteur n’avait pas vu.

L’homme se retourna tout d’une pièce.

— Qu’est-ce que vous voulez dire ?

— Police ! C’est un renseignement que je vous demande. Vous aviez beaucoup de courrier, pour M. Gallet ?

— Beaucoup, non ! Des lettres de la maison où ce pauvre monsieur travaillait et qui venaient à date fixe. Puis des journaux.

— Quels journaux ?

— Des journaux de province… Surtout du Berry et du Cher… Puis des revues : La Vie à la Campagne, Chasse et Pêche, La Vie de Château

Le commissaire nota que son interlocuteur évitait son regard.

— Il y a un bureau de poste restante à Saint-Fargeau ?

— Que voulez-vous dire ?

— M. Gallet ne recevait pas d’autres lettres ?

Le facteur se troubla soudain.

— Du moment que vous savez et qu’il est mort… balbutia-t-il. Sans compter que je n’ai même pas enfreint le règlement… Il m’avait seulement demandé de ne pas jeter dans la boîte certaines lettres et de les garder jusqu’à son retour, quand il était en voyage…

— Quelles lettres ?

— Oh ! il n’y en avait pas des tas… A peine une tous les deux ou trois mois… Des enveloppes bleues, bon marché… L’adresse était écrite à la machine…

— Elles ne portaient pas l’adresse de l’expéditeur ?

— L’adresse, non !… Mais je ne pouvais pas me tromper car, au dos, il était écrit, à la machine aussi : Ex. : M. Jacob… Est-ce que j’ai mal fait ?

— D’où venaient ces lettres ?

— De Paris…

— Vous ignorez l’arrondissement ?

— J’ai regardé… Mais ça changeait chaque fois…

— Quand la dernière est-elle arrivée ?

— Attendez… Nous sommes le 29, n’est-ce pas ?… Mercredi… Alors, c’était jeudi soir… Mais je n’ai vu M. Gallet que vendredi matin, alors qu’il partait à la pêche…

— Et il est allé à la pêche ?

— Non ! Il est rentré chez lui, après m’avoir donné cinq francs, comme d’habitude… Cela m’a fait quelque chose quand j’ai appris qu’on l’avait tué… Vous croyez que la lettre…

— Il est parti le jour même ?

— Oui… Attention !… C’est le train de Melun que vous attendez ? Ça vient de sonner au passage à niveau… Est-ce que vous allez être obligé d’en parler ?…

Maigret n’eut que le temps de courir sur le quai et de sauter dans l’unique wagon de première classe.

IV

L’escroc des légitimistes

En arrivant pour la seconde fois à l’Hôtel de la Loire, Maigret répondit sans chaleur à M. Tardivon qui l’accueillait avec des airs confidentiels, le conduisait à sa chambre et lui montrait de grandes enveloppes jaunes arrivées à son adresse.

Il y avait là le rapport du médecin légiste, les procès-verbaux de la gendarmerie et de la police de Nevers.

La police de Rouen, de son côté, avait envoyé des renseignements complémentaires sur la caissière Irma Strauss.

— Ce n’est pas tout, exulta l’hôtelier. Le brigadier de gendarmerie est venu pour vous voir. Il demande que vous lui téléphoniez dès votre arrivée… Enfin il y a une femme qui s’est présentée trois fois, sans doute à la suite du boniment du tambour de ville…

— Quelle femme ?

— La mère Canut, la femme du jardinier d’en face… Je vous ai parlé du petit château, vous vous en souvenez ?

— Elle n’a rien dit ?

— Pas si bête ! Du moment qu’il y a une récompense à la clé, ce n’est pas elle qui se laisserait souffler le renseignement, pour autant qu’elle sache quelque chose…

Maigret avait déposé sur la table le dossier rose, ainsi que la photographie de Gallet.

— Faites chercher cette femme et demandez-moi la gendarmerie à l’appareil…

Un peu plus tard, il avait au bout du fil le brigadier, qui lui annonçait que, selon les instructions reçues, il avait ramassé tous les vagabonds à dix lieues à la ronde et qu’il les tenait à sa disposition.

— Il y en a d’intéressants ?

— Ce sont des vagabonds, se contenta de répondre le gendarme.

Pendant trois ou quatre minutes, Maigret resta seul dans sa chambre, en face du monceau de papiers. Et il en attendait d’autres ! Il avait télégraphié à Paris pour demander des renseignements sur Henry Gallet et sur sa maîtresse. A tout hasard, il avait alerté Orléans afin de savoir s’il existait dans la ville un M. Clément.

Enfin il n’avait pas encore eu le temps d’examiner la chambre du crime ni les vêtements du mort qui avaient été déposés dans cette chambre après l’autopsie.

Au début, cela avait eu l’air d’une affaire de rien du tout. Un homme, qui avait toutes les apparences d’un bon petit-bourgeois, était tué par un inconnu dans une chambre d’hôtel.

Or, chaque renseignement qui arrivait compliquait le problème au lieu de le simplifier.

— Est-ce qu’il faut la faire entrer chez vous, commissaire ? cria une voix dans la cour. C’est la mère Canut…

Une forte et digne commère, qui avait dû se faire plus propre que d’habitude pour la circonstance, entra en cherchant tout de suite Maigret d’un regard méfiant de campagnarde.

— Vous avez quelque chose à me dire ? A propos de M. Clément ?

— A propos du monsieur qui est mort, et qui a eu son portrait sur le journal. C’est vrai que vous donnez cinquante francs ?

— Si vous l’avez vu le samedi 25 juin, oui !

— Et si je l’ai vu deux fois ?

— Ma foi, peut-être bien en aurez-vous cent ! Parlez…

— D’abord, il faut que vous promettiez de ne rien dire à mon homme. Ce n’est pas tant qu’il tienne au patron qu’à cause des cent francs qu’il irait boire… Bien sûr que j’aime quand même mieux que M. Tiburce ne sache pas que j’ai parlé… Car c’est avec lui que j’ai vu le monsieur qu’on a tué… La première fois, le matin autour de onze heures… Ils se promenaient tous les deux dans le parc…

— Vous êtes sûre de l’avoir reconnu ?

— Comme je vous reconnaîtrais… Il n’y en a pas tant comme lui… Ils ont peut-être causé ainsi pendant une heure… Puis, l’après-midi, par la fenêtre du salon, je les ai aperçus qui avaient l’air de se disputer…

— Quelle heure était-il ?

— Ça venait de sonner cinq heures… Cela fait bien deux fois, n’est-ce pas ?

Et elle ne quitta pas des yeux la main de Maigret qui prenait un billet de cent francs dans son portefeuille, soupira comme si elle eût regretté de n’avoir pas, ce samedi-là, suivi M. Clément à la piste.

— Je crois bien que je l’ai revu une troisième fois… dit-elle avec hésitation. Mais sans doute que ça ne compte pas… Quelques minutes après, M. Tiburce le reconduisit jusqu’à la grille…

— Ça ne compte pas, en effet ! trancha Maigret en la poussant vers la porte.

Il alluma une pipe, mit son chapeau sur sa tête et, dans le café, s’arrêta en face de M. Tardivon.

— Il y a longtemps que M. de Saint-Hilaire habite le petit château ?

— Une vingtaine d’années.

— Quel homme est-ce ?

— Un homme bien sympathique ! Un petit gros, joyeux garçon ! Et simple ! Quand j’ai des locataires, l’été, on ne le voit guère, parce que, quand même, il est d’un autre milieu… Mais, à la saison de la chasse, il entre souvent ici…

— Il a de la famille ?

— Il est veuf !… Nous, on l’appelle presque toujours M. Tiburce, parce que c’est un prénom pas commun… C’est à lui qu’appartiennent toutes les vignes que vous pouvez voir sur le coteau… Il s’en occupe lui-même, va de temps en temps faire une bombe à Paris et revient chausser ses souliers à clous… Qu’est-ce que la mère Canut a pu vous raconter ?

— Vous croyez qu’il est chez lui ?

— Il y a des chances. Je n’ai pas vu passer son auto aujourd’hui…

Maigret gagna la grille et sonna, non sans remarquer que, la Loire faisant un coude à partir de l’hôtel et la villa étant la dernière propriété du pays, on pouvait y entrer et en sortir à toute heure sans être vu.

Au-delà de la poterne, le mur d’enceinte se prolongeait encore sur une longueur de trois ou quatre cents mètres, après quoi il n’y avait plus que du taillis.

Un homme à moustaches tombantes, en tablier de jardinier, vint ouvrir, et, comme il sentait l’alcool, le commissaire conclut que c’était vraisemblablement le mari de Mme Canut.

— Ton maître est ici ?

Au même moment, Maigret aperçut un personnage en manches de chemise qui examinait une arroseuse mécanique. Le regard du jardinier lui prouva que c’était bien Tiburce de Saint-Hilaire qui, d’ailleurs, abandonnant l’instrument, se tourna vers le visiteur et attendit.

Comme Canut avait l’air pour le moins emprunté, il finit par s’approcher, après avoir ramassé sa veste posée sur le gazon.

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