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Том 10. Былое и думы. Часть 5 - Александр Герцен

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Sur toute la frontière de la Sibérie, de ce côté des monts oura-liens, les paysans ont coutume de mettre devant la fenêtre un morceau de pain avec du sel, quelquefois un petit pot de lait du kwass. C'est pour les malheureux. С est ainsi qu'ils appellent tous les condamnés qui s'évadent de la Sibérie et qui n'oseraient ni frapper à la porte,ni passer le jour par un village. J'ai trouvé quelque chose de pareil en Suisse. Sur les hauteurs, là où le granit perce déjà comme le crâne dénudé d'un homme demi-chauve, et où un vent glacial souffle sur des plantes desséchées et presque mortes, j'ai trouvé des cabanes de chasseurs quelquefois inhabitées, mais ayant la porte non cadenassée. En entrant, on trouvait du pain, du fromage. Le voyageur égaré ou surpris par le mauvais temps y entre, reste pendant la bourrasque, mange et quelquefois laisse un gros sou sur l'assiette, plus souvent rien.

– Et on ne vole jamais? – dis-je à mon guide.

– Non, Herr!

Ce ne sont pas des hommes encore!

Après avoir quitté la vieille – qui avait conscience de prendre cinq francs pour la nourriture de quatre individus et de deux chevaux, y compris une bouteille entière de kirsch – nous continuâmes notre route par une montée plus rapide. Le chemin – mince incision dans le roc – n'avait parfois qu'un mètre de largeur et serpentait sous des rochers suspendus sur nos têtes, frisant la lisière d'un précipice qui devenait de plus en plus profond. Tout en bas s'élançait, avec bruit et fureur, le Wesp, comprimé dans un lit étroit; il se hâtait évidemment de sortir au large. Il y a trop du Salvator Rosa dans ces ascensions. Cela use les nerfs, les fatigue, les accable… Des heures et des heures passent, le spectacle est le même… D'autres rochers froncent les sourcils et sont prêts à vous pousser dans l'abîme; le Wesp mugit; tantôt visible et couvert d'écume blanche, tantôt se perdant derrière des montagnes, des forêts de sapin; les fers du cheval résonnent sur la pierre, les guides répètent les mêmes deux notes: «Oh – Eh! I–Ve!» Les contours s'effacent, une transpira' tion de brouillard se lève des abîmes… Le Wesp mugit, les pas des chevaux résonnent. – «Oh – Eh! – I–Ve!» – Cela agace les nerfs, cela les irrite.

Zermatt est entouré de montagnes, presque adossé au Mont-Rose; il faisait nuit derrière ce paravent colossal. – Lorsque nous entrâmes dans une petite auberge, la seule de l'endroit en 1849, nous y trouvâmes encore un voyageur – c'était un géologue écossais – et la maîtresse de la maison. Nous étions autour d'une table en attendant le souper, lorsque le géologue nous dit: «Messieurs, c'est un bruit de sonnettes de chevaux ou de mulets!» – «Oui, oui, – dit la maîtresse, en écoutant attentivement. – Voilà du fort! grimper cette montagne lorsqu'on ne voit pas sa propre main». Elle prit une lanterne et alla à la rencontre; nous allâmes l'accompagner. – On entendait les sonnettes de plus en pins; quelque chose se détacha du fond noir, et une minute après une Anglaise, raide, haute et en amazone, descendit tranquillement de cheval, comme si elle revenait à la maison après une promenade à Hyde-Park; le second cavalier était son fils, un garçon de treize à quatorze ans. – La dame entra dans la chambre et demanda du thé. Le géologue l'avait déjà rencontrée et lui adressa la parole. Un quart d'heure après, elle dit à son fils d'aller demander aux guides combien de temps il leur fallait pour faire reposer et nourrir les chevaux.

– Comment! – dit l'Ecossais, – vous voulez partir par cette obscurité?

– Nous descendons, – dit-elle, – de l'autre côté, du côté italien du Monte-Rosa.

– Tant pis, vous avez une mauvaise descente. Restez ici jusqu'au matin.

– Je ne le puis, j'ai d'avance disposé du temps et on nous attend.

Deux heures après, l'Anglaise se mit à cheval, son fils monta gaiement le sien, et j'ouvris la fenêtre pour entendre le diminuendo des sonnettes qui s'éloignaient.

Quelle femme! Quelle race!

Le lendemain, avant le lever du soleil, nous prîmes un troisième guide qui connaissait bien les sentiers et sifflait encore ieux des chansons suisses. Nous avions l'intention de monter jusqu'à l'endroit où l'on pouvait encore aller à cheval.

J’avais peur que la journée ne soit manquée, un brouillard blanchâtre couvrait tout, et cela si bien qu'on ne voyait pas même le mont Cervin. Lе maître de l'hôtel vint jeter encore plus de trouble dans mon âme en disant: «Ia, ia, der Wetterhorn s'isch ein grosser Herr, lässt sich nik immer sehe lasse fur Jederman». Heureusement, «le grand seigneur de Cervin» était de bonne humeur et apparût bientôt dans toute sa splendeur.

Une pluie fine et froide remplaça le brouillard, et peu après, pluie et brouillard étaient au-dessous de nous un océan de fumée, un monde en fusion. Au-dessus, le ciel bleu et pur.

Victor Hugo nous raconte «ce que l'on entend sur la montagne» Il faut supposer que la montagne du haut de laquelle il a entendu tant de belles choses n'était pas très haute. La première chose qui me frappa sur ces hauteurs, c'est l'absence de tout bruit de tout son. On n'entend rien, absolument rien.

De temps en temps, le tonnerre éloigné des avalanches qui tombaient du mont Cervin, venait rompre pour un instant ce silence diaphane, visible, sonore, oui, sonore, je n'ai pas d'autre mot. La grande raréfaction de l'air donne une voix à cette tranquillité minérale, à cet éternel sommeil inorganique, à ce mutisme élémentaire.

C'est la vie qui s'agite, qui se démène, qui crie et tapage; ici elle est dépassée; elle est restée là-bas sous le brouillard. Les plantes mêmes, ces sourd-muets de la nature, disparaissent et me sont représentées que par les algues desséchées, grisonnantes, à demi gelées.

Encore quelques pas – le froid devient plus intense, le verglas qui ne dégèle jamais s'épaissit et forme une croûte continue de neige. C'est la frontière de la planète. Plus loin, rien que la glace et le rocher. Au delà rien ne se passe, à l'exception de quelques sons mécaniques, des fissures, des éboulements. Au-delà il n'y a personne. Un seul animal, le plus curieux de tous, y va à travers les périls et les dangers, pour jeter un coup d'œil sur ce vide infini, sur ces points proéminents qui marquent les limites de la terre, pour y respirer la glace et l'immensité et descendre au plus vite dans son milieu plein d'angoisse et de misère, – mais où il est à la maison.

…Nous nous arrêtâmes. Arrivés à la mer glaciale, enlacée par une série de montagnes, elle avait l'air d'un immense Colisée, inondé par des vagues surprises par un froid glacial, qui les arrêta court au milieu du plus grand élan.

Les lignes du mouvement s'arrêtèrent sans avoir eu le temps de se déployer en lignes droites,'en lignes de repos, et portant à tout jamais l'immobile trace du mouvement suspendu.

Je m'éloignais tout seul à quelque distance, et je m'assis en m'adossant à un bloc de granit, chaviré et enfoncé là dans la neige par je ne sais quel caprice des glaces. Une blancheur sans fin, sans voix s'étendait devant moi; un petit vent soulevait de temps en temps une légère poussière de neige, la tournait, la laissait tomber, et tout rentrait dans le silence blanc et muet. Une avalanche roula, se brisant et laissant à chaque coup un nuage glacial qui scintillait et disparaissait.

L'homme se sent mal dans ces cadres. Dépaysé, ému, triste, il e sent étranger, superflu, étonné. Et pourtant il respire plus largement et semble, pour un instant, devenir lui-même blanc et comme cette neige, austère et sérieux comme le linceuil qui couvre ce cadavre de la nature sévère et morte!

<Раздумье по поводу затронутых вопросов>*

I

…D'un côté la famille irrévocablement soudée, rivée, fermée à perpétuité – telle que Proudhon l’а rêvée, le mariage indissoluble de l'église, le pouvoir du pater familias romain – illimité… la famille absorbante, dans laquelle les individus – sauf un seul – sont victimes pour un but commun; le mariage consacrant l'inaltérabilité des sentiments, l'éternelle inviolabilité d'un pacte… De l’autre, les nouvelles doctrines dans lesquelles les liens du mariage et de la famille sont déliés, l'irrésistible puissance des passions – reconnue comme ayant droit, l'indépendance du passé admise et partant de la facultative des engagements.

D'un côté la femme – traînée au pilori, presque lapidée pour ce qu'on appelle la trahison – sans approfondir les causes. – De l’autre – la jalousie même mise hors la loi – comme un sentiment égoïste, maladif, propriétariste, romantique qui altère et empoisonne les notions simples et naturelles.

Où est la vérité? Au moins la diagonale. Il y a déjà vingt trois ans que je cherche un chemin pour sortir de ces contradictions, et c'est encore en 1843 que je tâchais pour la première fois à m'orienter dans ces ténèbres.

Nous sommes très courageux dans la négation et toujours prêts à jeter à l'eau chaque idole. Mais les idoles de la famille et de la vie domestique sont «waterproof» et reviennent toujours à la surface. Ils n'ont pas de sens quelquefois – mais ils ont la vie dure; les armes que l'on a employées contre eux – glissèrent sur leur écaille, les renversèrent, les abasourdirent – mais ne les tuèrent pas.

Jalousie… Fidélité… Pureté… Innocence… Trahison… Sombres puissances, verbes terribles au nom desquels coulèrent des torrents de sang, des torrents de larmes… Ces mots nous font frémir comme le souvenir de l'inquisition, de la torture, de la peste – et ils sont suspendus sur notre tête comme le glaive de Damoclès – et c'est sous ce glaive qu'a toujours vécu et vit encore la famille.

Il n'est pas facile de les mettre à la porte par des négations injurieuses. Ils restent derrière le coin et sommeillent – tout prets d'accourir à la première alarme – et dévorer tout – tout ce qui est près – tout ce qui est loin… anéantir nous-mêmes.

La bonne intention d'éteindre à fond ces incendies – à ce qu'il paraît n'est pas possible, il faut peut-être se résigner à diriger le feu d'une manière humaine, à le dompter et dominer. On ne peut également ni'finir avec les passions – par la logique, ni les faire acquitter par les tribunaux. Les passions sont des faits et non des dogmes – on peut sévir contre elles, mais non déraciner.

La jalousie, plus encore, jouissait des droits exceptionnels. Au lieu de frein et de résistance – elle ne trouvait qu'encouragements et sympathie. Par sa propre force – passion violente, ardente – au lieu d'être domptée – elle était poussée en avant par le chœur.

La doctrine chrétienne – qui à force de mépris et de haine pour le corps – met si haut tout ce qui est charnel, le culte aristocratique de la race, de la pureté du sang – développèrent jusqu'au monstrueux la notion de la suprême offense, de la tache irréparable. La jalousie reçut en main le jus gladii, le droit de juger dans sa propre cause et de se venger. Elle devint un devoir de l’honneur, presqu'une vertu. Tout cela ne peut soutenir la moindre critique – mais ce qui est très important – en dehors de cela il reste toujours quelque chose de réel, un sentiment de douleur, de malheur, sentiment élémentaire – commel'amour même, faisant face à toute négation – irréductible, invincible.

Nous voilà encore une fois devant les fourches Caudines des antinomies. Le vrai et le faux sont de deux côtés. Un entweder – oder courageux n'avance en rien la question. Au moment où l'on croit avoir fini d'un de deux termes – par la négation… il réapparaît d'un autre côté, comme la nouvelle lune – après le dernier quart.

Hegel faisait absorber les antinomies dans l'esprit absolu… Proudhon – dans l'idée de la justice.

L'absolu est un dogme philosophique, la justice peut sévir, condamner – mais n'a réellement pas de prise sur les passions. La passion est par sa nature injuste, partielle. La justice fait abstraction des individualités, elle est unipersonnelle – la passion est par excellence individuelle, partielle.

Radicalement anéantir la jalousie veut dire en même temps l’anéantissement de l'attachement personnel – en mettant à sa place un attachement pour le sexe. Mais ce n'est que l’ individuel, que le personnel qui nous plaît, qui nous entraîne, qui donne le coloris, le son, le sens, la passion. Notre lyrisme est un lyrisme personnel, notre bonheur et malheur – sont personnels Le doctrinarisme avec toute sa logique – nous relève aussi peu de nos peines – comme les «consolations» des Romains avec toute leur rhétorique. Il est impossible d'essuyer les larmes de tristesse près du cercueil et les larmes – emprisonnées – de lajalousie – heureusement il n'y aura besoin de le faire. A quoi on peut parvenir – et à quoi on doit parvenir – c'est que ces larmes coulent humainemen – purifiées de l'intolérance d'un moine, de la férocité d'un animal carnassier, de la rage d'un propriétaire volé qui se venge.

II

Réduire le rapport de l'homme et de la femme à une rencontre fugitive, momentanée, sans trace – est, il nous semble, au même degré impossible que de river un homme et une femme jusqu'à la tombe – dans un mariage indissoluble. Les deux cas peuvent se rencontrer dans les extrémités des relations sexuelles et matrimoniales – comme des cas particuliers, comme des exceptions – mais non comme norme. Le rapport de hasard cessera ou tendra à une liaison plus durable, le mariage indissoluble – à l'émancipation d'un devoir sans fin, à l'affranchissement d'une chaîne, peut-être volontairement acceptée – mais toujours une chaîne.

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